L’Humilitum Kynsépa est un lézard qui vit sur les falaises de la côte de Penthièvre, à quelques encablures du cap Fréhel.
Quand le soleil brille, il se colle au granite et ne bouge plus. Seule sa respiration lente et régulière trahit son éveil. Les chercheurs ont toujours pensé que ce comportement, typique des animaux à sang froid, lui permettait d’emmagasiner toute la chaleur nécessaire à son confort et sa survie de nuit ou les jours de froidure. Mais c’est une erreur. L’Humilitum Kynsépa est en réalité un animal exceptionnellement concentré, qui se fige en introspection pour sans cesse se poser des questions. Des questions existentielles, des interrogations systémiques, des problèmes arithmétiques, théoriques ou méthodologiques, des spéculations tantôt politiques, tantôt économiques (parfois les deux, sous conditions météorologiques caniculaires) ; parfois, pour se détendre, le reptile formule des énigmes policières ou énonce des examens de conscience…
Ainsi peut-il rester statufié pendant des heures quand toutes ses pensées sont accaparées à décliner des requêtes dont la complexité s’accroît avec l’âge et la maturité.
Dès que le ciel se couvre ou que la nuit tombe, il se trouve comme gîte une fissure dans les rochers et se met alors à chercher des réponses à ses multiples questions. Et c’est grâce à cette suractivité cérébrale que ce lézard se maintient dans une forme optimum (on dit qu’il peut ainsi se triturer les méninges plus de deux siècles)…
La résilience comme expertise
Ce que les chercheurs ignorent encore, c’est que l’Humilitum Kynsépa est non seulement d’une résistance à toute épreuve, mais il est aussi l’un des animaux les plus résilients de la planète… Parce que, s’il s’avère être un expert hors pairs dans la définition de questions, jamais il n’en trouve les réponses ! Jamais : zéro pointé, que nenni, ni bride ni broutille, le néant intégral ! Qu’on s’en rende bien compte : de toute sa vie jamais il ne trouve une quelconque solution à ses problèmes ; silence radio dans le ciboulot, électroencéphalogramme plat comme une limande écrasée par la bedaine d’un cachalot maladroit (ou en état d’ébriété), pas la moindre esquisse d’explication à toutes ses requêtes diurnes.
Et malgré cela, l’Humilitum Kynsépa, au premier rayon de soleil et en toute saison, sans aucune forme de regret ni d’amertume, se replie sur lui et entame à nouveau inexorablement ses questionnements. Il a fait de l’insolubilité de sa démarche sa plus solide carapace, sa raison d’être, sa religion. Au crépuscule, son rituel pour trouver le sommeil consiste à se réciter des prières qui toutes se terminent invariablement par un « et c’est pourquoi je ne sais pas pourquoi je ne sais pas répondre à mes questions ni au pourquoi du comment de la situation ; ainsi soit-il, ou pas. »
Qui sait ou qui ne sait pas ?
Mais comment voulez-vous que les chercheurs puissent soupçonner tout cela, ceux-là même qui ne songent pas pensable qu’un lézard puisse penser. Sans doute sont-ils les premiers à ne pas se poser les bonnes questions, qui sait ?
« Ou qui ne sait pas ? » se demande parfois l’Humilitum Kynsépa, immobile sur la roche face à la mer, plongé une fois de plus dans la sagesse léthargique de sa ferveur dubitative.
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