De Saturne à la mer

– S’il vous plaît… dessine-moi une sardine !

Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand un drôle de petit cri m’a réveillé.
Il disait : – S’il vous plaît… dessine-moi une sardine !

J’ai sauté sur mes pieds comme si j’avais été frappé par la foudre. J’ai bien frotté mes yeux. J’ai bien regardé. Et j’ai vu un gros goéland tout à fait extraordinaire qui me considérait gravement.
Alors j’ai dessiné.
Il regarda attentivement, puis :
– Non ! Celle-là est déjà très malade. Fais-en une autre.
Je dessinai :
Mon ami sourit gentiment, avec indulgence :
– Tu vois bien… ce n’est pas une sardine, c’est un éperlan…
Alors, faute de patience, je griffonnai un nouveau dessin et lui lançai :
– Ça c’est une boite. La sardine que tu veux est dedans, avec des copines.
Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon juge :
– C’est tout à fait comme ça que je la voulais !

La Limassumepa Cendrée

un mollusque divin

Gastéropode ayant perdu sa coquille au fil des ans et des tourments, la Limassumepa Cendrée se distingue par son étrange croissance. Là où la nature apporte son lot d’expériences qui participent à la maturation de n’importe quelle espèce animale, la Limassumepa Cendrée manifeste pour sa part une « dématuration » qui se traduit par une perte totale de confiance en elle au fur et à mesure de son vieillissement. A tel point qu’en fin de parcours, on la retrouve figée, ancrée au sol avec le regard pétrifié et éploré.

La difficulté pour les scientifiques qui souhaiteraient trouver le sens et les motifs de ce régressif développement, c’est que pour pouvoir étudier de visu une Limassumepa Cendrée, il leur faudra aller six pieds sous terre.

Une fois parvenus à la porte de Saint-Pierre, ils auront à chercher les limaces convoitées entre les branches des rosiers qui délimitent cette entrée céleste. C’est ici et seulement en ce lieu précis que les Limassumepas Cendrées vivent et se reproduisent. Les biologistes les ont d’ailleurs surnommées à ce titre le mollusque divin.

Toutes Les recherches sur cet animal ont été à ce jour suspendues.

L’Humilitum Kynsépa, lézard léthargique à la ferveur dubitative

L’Humilitum Kynsépa est un lézard qui vit sur les falaises de la côte de Penthièvre, à quelques encablures du cap Fréhel.

Quand le soleil brille, il se colle au granite et ne bouge plus. Seule sa respiration lente et régulière trahit son éveil. Les chercheurs ont toujours pensé que ce comportement, typique des animaux à sang froid, lui permettait d’emmagasiner toute la chaleur nécessaire à son confort et sa survie de nuit ou les jours de froidure. Mais c’est une erreur. L’Humilitum Kynsépa est en réalité un animal exceptionnellement concentré, qui se fige en introspection pour sans cesse se poser des questions. Des questions existentielles, des interrogations systémiques, des problèmes arithmétiques, théoriques ou méthodologiques, des spéculations tantôt politiques, tantôt économiques (parfois les deux, sous conditions météorologiques caniculaires) ; parfois, pour se détendre, le reptile formule des énigmes policières ou énonce des examens de conscience…

Ainsi peut-il rester statufié pendant des heures quand toutes ses pensées sont accaparées à décliner des requêtes dont la complexité s’accroît avec l’âge et la maturité.

Dès que le ciel se couvre ou que la nuit tombe, il se trouve comme gîte une fissure dans les rochers et se met alors à chercher des réponses à ses multiples questions. Et c’est grâce à cette suractivité cérébrale que ce lézard se maintient dans une forme optimum (on dit qu’il peut ainsi se triturer les méninges plus de deux siècles)…

La résilience comme expertise

Ce que les chercheurs ignorent encore, c’est que l’Humilitum Kynsépa est non seulement d’une résistance à toute épreuve, mais il est aussi l’un des animaux les plus résilients de la planète… Parce que, s’il s’avère être un expert hors pairs dans la définition de questions, jamais il n’en trouve les réponses ! Jamais : zéro pointé, que nenni, ni bride ni broutille, le néant intégral ! Qu’on s’en rende bien compte : de toute sa vie jamais il ne trouve une quelconque solution à ses problèmes ; silence radio dans le ciboulot, électroencéphalogramme plat comme une limande écrasée par la bedaine d’un cachalot maladroit (ou en état d’ébriété), pas la moindre esquisse d’explication à toutes ses requêtes diurnes.

Et malgré cela, l’Humilitum Kynsépa, au premier rayon de soleil et en toute saison, sans aucune forme de regret ni d’amertume, se replie sur lui et entame à nouveau inexorablement ses questionnements. Il a fait de l’insolubilité de sa démarche sa plus solide carapace, sa raison d’être, sa religion. Au crépuscule, son rituel pour trouver le sommeil consiste à se réciter des prières qui toutes se terminent invariablement par un « et c’est pourquoi je ne sais pas pourquoi je ne sais pas répondre à mes questions ni au pourquoi du comment de la situation ; ainsi soit-il, ou pas. »

Qui sait ou qui ne sait pas ?

Mais comment voulez-vous que les chercheurs puissent soupçonner tout cela, ceux-là même qui ne songent pas pensable qu’un lézard puisse penser. Sans doute sont-ils les premiers à ne pas se poser les bonnes questions, qui sait ?
« Ou qui ne sait pas ? » se demande parfois l’Humilitum Kynsépa, immobile sur la roche face à la mer, plongé une fois de plus dans la sagesse léthargique de sa ferveur dubitative.

La chenillartilium, insecte pas sectaire

Comme la mante religieuse, sa lointaine cousine, la chenillartilium ne croit pas en dieu. Ni au guépard, au chat, en la mouette ou en l’éléphanteau.

Ni même en elle-même.

Cet insecte n’est en fait pas sectaire : il ne croit en rien ni personne et trouve en cet espace de totale athéisme le cocon propice à sa réflexion quotidienne.
Parce que chacun peut facilement savoir combien la chenillartilium passe de temps à cogiter en observant simplement la légère luminosité que génère son abdomen quand elle se secoue les méninges, exclusivement dans son environnement naturel (cet animal ne survit jamais plus de deux minutes en situation de confinement). Il ne se passe pas une heure sans que la chenillartilium n’émette cette lumière rose violacée, qui en définitive participe à attirer inéluctablement ses principaux prédateurs, oiseaux et reptiles, tous fanatisés par on ne sait quelle divinité, du moins est-ce ainsi qu’elle les perçoit avant de mourir dans leurs gosiers. Alors seulement cesse-t-elle de penser, irrémédiablement.

Pour une créature qui semble si bien savoir gamberger, ce n’est pas bien malin de s’illuminer de la sorte du soir au matin, me direz-vous. Eh bien vous avez raison, c’est stupide et bien peu digne d’un être capable d’intelligence et d’entendement. Un peu comme l’homme : pas une seconde sans chercher à briller plus que ses voisins, et prêt à tout pour écraser son prochain.

« À ne pas croire en soi, on se perd dans le néant des autres », disait Polynéoprène, qui vécut 17 heures 37 minutes et 28 secondes, et se vit de ce fait décerner le titre de doyen des chenillartiliums sur la terre. Un exploit.

Mais à quoi peuvent bien penser ces chenillartiliums ?
Nul ne le sait, toutes les études se trouvant confrontées à une difficulté redondante pour mener à bien les recherches : l’extrême éphémérité de vie de cette espèce ; à peine le temps d’aborder les premières hypothèses que l’animal se fait bouffer !

Ce qui, peut-être, explique son agnosticisme chronique comme son incrédulité de mécréante confirmée.

Mais cette hypothèse aussi mériterait d’être vérifiée…

De l’extinction du goupilaplume

Canidé effarouché

Le goupilaplume vit et se cache sous les ajoncs et bruyères de la Côte de Penthièvre. Comme son cousin le renard roux, le goupilaplume est un grand chasseur et pratique le mulotage pour attraper à grands sauts les rongeurs alentours. A ceci près que ce canidé s’est vu parer d’une écharpe de plumes qui lui permet de prolonger ses bonds et de surprendre ses proies à plus longue distance.

Si dans les villages voisins les anciens racontent encore que cet étrange attribut serait né des incantations d’un druide ermite aux idées saugrenues (pour dire poliment foldingue), ce qui est sûr, c’est qu’ainsi doté d’un si voyant apparat, le goupilaplume est devenu maladivement craintif et timide au fil des années. L’animal s’avère aujourd’hui incapable de tout contact social avec la terre entière, et tout particulièrement avec ses congénères.

Ce qui pose un vrai problème de reproduction : le goupilaplume appartient maintenant aux espèces en voie d’extinction.

Aussi, si vos pas vous amènent un jour à croiser un goupilaplume lors d’une randonnée sur le GR 34, approchez-le avec mille précautions, imitez avec vos bras le vol du héron pour l’amadouer (c’est le seul oiseau qui n’apeure pas ce renard), ne lui parlez pas mais huez-lui (c’est le cri du héron, une sorte de croassement…), revenez au même endroit tous les jours, pour parvenir à créer le climat de bienveillance propice à son apprivoisement. Il vous faudra ensuite recourir à un zoothérapeute pour accompagner le goupilaplume vers une reprise de confiance en lui et en sa communauté.
Tout cela peut être un peu long, mais sachez que vous deviendrez ainsi un artisan de la reconstruction de la biodiversité de notre planète ; une expérience exceptionnelle !

Paix et longue vie à vous comme à toutes les âmes de bonne volonté.