12, ni plus ni moins
12, un point c’est tout
La particularité de cette espèce de myriapode psychédélique est son mode de vie sociale : les gueuldapotres vivent toujours en clan de douze individus précisément, en totale harmonie symbiotique.
À douze, ils ne font plus qu’un et de ce fait n’estiment pas être douze mais être un douzième de soi, le summum du bien-être. Ils disent alors juste qu’ils douzainent, de verbe douzainer propre à leur langage signifiant le fait d’atteindre un état d’osmose que seul le groupement à douze permet !
« Jamais treize à table » est la devise suprême des gueuldapotres.
Et « dix à la douzaine » un concept blasphématoire passible de la peine de mort.
Quand par hasard un larron veut s’incruster dans un clan, c’est la zizanie : chacun défend sa place en crachant sur ses voisins, et tous échangent des coups de griffes, de têtes et de dents.
Dans les cas les plus extrêmes, autrement dit quand l’intrus s’impose obstinément, il est de coutume que le groupe mette en place un étrange rituel ancestral respecté de tous : le jeu de la chaise musicale. Ainsi, en chantant d’une seule voix une comptine composée de douze couplets de douze vers tous écris en alexandrin, tournent-ils tous autour de douze sièges mis en cercle. En fin de chanson, chacun doit s’accaparer une place. Celui qui échoue est contraint de quitter le clan, sur le champ et sans recours possible.
Telles sont les règles de vie et de discipline chez les gueuldapotres.
Une fois ce genre de tumulte régularisé, le groupe retrouve sa douzainitude et voit revenir immédiatement le calme et la sérénité propices à ses séances de méditation psychédélique, où chacun dans la communion tribale se remet en quête de la bonne nouvelle, de la paix dans le monde et de la dégustation sans limite de vin ou de bière.
Et ce bel équilibre tiendra jusqu’au moment où un nouvel iscariote (nom donné à ces individus qui viennent jouer le chiffre treize, porte-malheur et sinistre trublion de Satan) pointe son nez pour semer à nouveau la discorde.
C’est la vie, disent les anciens, la vraie vie avec ses cycles de bonnes et mauvaises expériences, et, précisent-ils de manière un peu cérémonieuse, jamais le peuple des gueuldapotres ne connaîtra la quiétude et l’apaisement divin définitif, parce que toujours vivra l’impair, qui va de pair avec le pair, son miroir, sans qui aucun nombre premier ne serait envisageable, ni aucune fonction ne pourrait être définie afin qu’une partie A de B dans B permette que tout x de A − x puisse appartenir à A pour que f (− x) = f (x) ou l’inverse selon le climat et l’humeur des belligérants.
C’est une évidence.
Vous l’aurez constaté : au-delà de sa vie clanique, le gueuldapotre est empreint d’une profonde foi en l’arithmétique, socle d’intimes convictions qui nourrissent la sagesse qu’il acquiert avec l’âge, la méditation, le vin et la bière…