Les 3 petits moutons et le loup (mais de lui, on s’en fout)

Modem et mots d’amour…

Il était une fois trois petits moutons, Bertille, Vanille et Broutille ; et toujours un loup pour faire peur à tout le monde. Mais du Garou, on en fait fi : il a viré végan et passe ses journées à peaufiner ses plantations.

Non, le problème, c’est Broutille qui se sent toute petite et inutile dans ce monde.

– Elle déprime, quoi, précise Bertille, pour qui tout est pragmatique.
– Mais non : elle souffre, la contredit Vanille, empathique et sensible.
– Elle souffre, elle souffre, ouais : elle se laisse juste allée par manque de volonté ou de motivation, reprend Bertille qui veut toujours avoir le dernier mot.
– Mais tu comprends rien, comme d’habitude, tu n’as que le pognon dans la tête, toi : la réussite, le j’t’embrouille-premier-de-cordée et le chacun-pour-soi-c’est-moi-le-meilleur.
– Mais ma pauvre Vanille, la vie c’est pas les Bisounours, faut la gagner, faut se battre pour s’en sortir, faut en vouloir, faut s’imposer.
– Faut-faut-faut, c’est faux tout ça, t’en fais quoi de l’amour, l’entraide, l’empathie, la compassion, espèce de dinde fripée.
– Compassion, compassion : connerie de passion, ouais, faut que t’arrêtes de rêver, espèce de cucurbitacée tordue.
– C’est toi qui a des arrêtes dans les neurones, vieille pie enrouée.
– J’t’en foutrais de la pie de vache, crasse d’éponge de starlette frustrée.
– Poule mouillée édentée.
– Tas de guano délavé.
– Ver de terre desséché.
– Croûte de calendos écrasée.
– Ramassis d’asticots débraillés.
– Graine de persil défrisé…

Il était une deuxième fois deux petits moutons, Bertille et Vanille, qui ont vu Broutille, exaspérée par leurs bruyants enfantillages, les quitter pour rejoindre le loup dans son potager, et respirer, gratter la terre, caresser l’herbe, contempler les nuages, écouter le silence, retrouver le sourire ;

déconnectée.

De Saturne à la mer

– S’il vous plaît… dessine-moi une sardine !

Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand un drôle de petit cri m’a réveillé.
Il disait : – S’il vous plaît… dessine-moi une sardine !

J’ai sauté sur mes pieds comme si j’avais été frappé par la foudre. J’ai bien frotté mes yeux. J’ai bien regardé. Et j’ai vu un gros goéland tout à fait extraordinaire qui me considérait gravement.
Alors j’ai dessiné.
Il regarda attentivement, puis :
– Non ! Celle-là est déjà très malade. Fais-en une autre.
Je dessinai :
Mon ami sourit gentiment, avec indulgence :
– Tu vois bien… ce n’est pas une sardine, c’est un éperlan…
Alors, faute de patience, je griffonnai un nouveau dessin et lui lançai :
– Ça c’est une boite. La sardine que tu veux est dedans, avec des copines.
Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon juge :
– C’est tout à fait comme ça que je la voulais !

Cha(t)cun sa cha(t)cune

félins pour l’autre

se chercher l’un l’autre
en douceur velours de chat
caresses félines
s’adopter à coups de griffes
lovées sous les coussinets

L’Humilitum Kynsépa, lézard léthargique à la ferveur dubitative

L’Humilitum Kynsépa est un lézard qui vit sur les falaises de la côte de Penthièvre, à quelques encablures du cap Fréhel.

Quand le soleil brille, il se colle au granite et ne bouge plus. Seule sa respiration lente et régulière trahit son éveil. Les chercheurs ont toujours pensé que ce comportement, typique des animaux à sang froid, lui permettait d’emmagasiner toute la chaleur nécessaire à son confort et sa survie de nuit ou les jours de froidure. Mais c’est une erreur. L’Humilitum Kynsépa est en réalité un animal exceptionnellement concentré, qui se fige en introspection pour sans cesse se poser des questions. Des questions existentielles, des interrogations systémiques, des problèmes arithmétiques, théoriques ou méthodologiques, des spéculations tantôt politiques, tantôt économiques (parfois les deux, sous conditions météorologiques caniculaires) ; parfois, pour se détendre, le reptile formule des énigmes policières ou énonce des examens de conscience…

Ainsi peut-il rester statufié pendant des heures quand toutes ses pensées sont accaparées à décliner des requêtes dont la complexité s’accroît avec l’âge et la maturité.

Dès que le ciel se couvre ou que la nuit tombe, il se trouve comme gîte une fissure dans les rochers et se met alors à chercher des réponses à ses multiples questions. Et c’est grâce à cette suractivité cérébrale que ce lézard se maintient dans une forme optimum (on dit qu’il peut ainsi se triturer les méninges plus de deux siècles)…

La résilience comme expertise

Ce que les chercheurs ignorent encore, c’est que l’Humilitum Kynsépa est non seulement d’une résistance à toute épreuve, mais il est aussi l’un des animaux les plus résilients de la planète… Parce que, s’il s’avère être un expert hors pairs dans la définition de questions, jamais il n’en trouve les réponses ! Jamais : zéro pointé, que nenni, ni bride ni broutille, le néant intégral ! Qu’on s’en rende bien compte : de toute sa vie jamais il ne trouve une quelconque solution à ses problèmes ; silence radio dans le ciboulot, électroencéphalogramme plat comme une limande écrasée par la bedaine d’un cachalot maladroit (ou en état d’ébriété), pas la moindre esquisse d’explication à toutes ses requêtes diurnes.

Et malgré cela, l’Humilitum Kynsépa, au premier rayon de soleil et en toute saison, sans aucune forme de regret ni d’amertume, se replie sur lui et entame à nouveau inexorablement ses questionnements. Il a fait de l’insolubilité de sa démarche sa plus solide carapace, sa raison d’être, sa religion. Au crépuscule, son rituel pour trouver le sommeil consiste à se réciter des prières qui toutes se terminent invariablement par un « et c’est pourquoi je ne sais pas pourquoi je ne sais pas répondre à mes questions ni au pourquoi du comment de la situation ; ainsi soit-il, ou pas. »

Qui sait ou qui ne sait pas ?

Mais comment voulez-vous que les chercheurs puissent soupçonner tout cela, ceux-là même qui ne songent pas pensable qu’un lézard puisse penser. Sans doute sont-ils les premiers à ne pas se poser les bonnes questions, qui sait ?
« Ou qui ne sait pas ? » se demande parfois l’Humilitum Kynsépa, immobile sur la roche face à la mer, plongé une fois de plus dans la sagesse léthargique de sa ferveur dubitative.