La Limassumepa Cendrée

un mollusque divin

Gastéropode ayant perdu sa coquille au fil des ans et des tourments, la Limassumepa Cendrée se distingue par son étrange croissance. Là où la nature apporte son lot d’expériences qui participent à la maturation de n’importe quelle espèce animale, la Limassumepa Cendrée manifeste pour sa part une « dématuration » qui se traduit par une perte totale de confiance en elle au fur et à mesure de son vieillissement. A tel point qu’en fin de parcours, on la retrouve figée, ancrée au sol avec le regard pétrifié et éploré.

La difficulté pour les scientifiques qui souhaiteraient trouver le sens et les motifs de ce régressif développement, c’est que pour pouvoir étudier de visu une Limassumepa Cendrée, il leur faudra aller six pieds sous terre.

Une fois parvenus à la porte de Saint-Pierre, ils auront à chercher les limaces convoitées entre les branches des rosiers qui délimitent cette entrée céleste. C’est ici et seulement en ce lieu précis que les Limassumepas Cendrées vivent et se reproduisent. Les biologistes les ont d’ailleurs surnommées à ce titre le mollusque divin.

Toutes Les recherches sur cet animal ont été à ce jour suspendues.

Du secret de naissance de Gonzague-Olivier de Meauterfeuil

Portrait des trois aïeux de Meauterfeuil et de Louise-Océphale de La Pastelline

Pierrette de La Guévendière, épouse de Meauterfeuil, mit au monde trois garçons en même temps. La naissance de ces triplés fit grand bruit dans le pays de Matignon. Au baptême de Marc-André-Philippin, Marc-André-Augustin et Marc-André-Célestin, le village entier s’était entassé dans l’église pour observer de près cette étrange et magique fratrie.

La magie ne dura pas : l’éducation de ces enfants s’avéra une vraie sinécure pour Pierrette et ses gens de service. Les trois garçons se sont vite révélés perturbateurs, contestataires et fusionnels ; incontrôlables en vérité. Toujours prêts à en découdre avec toute forme d’autorité, ils iront jusqu’à se créer un langage commun constitué de breton, d’anglais et de français, qu’ils étaient seuls à comprendre pour mieux détourner les préceptes pédagogiques parentaux.

Devenus jeunes hommes, ils tombèrent amoureux de la même jeune femme, Mlle Louise-Océphale de La Pastelline, qui trouva en ces trois clones et clowns un terrain d’apprentissage exceptionnel au niveau romantique et charnel ; terrain qu’elle arpenta dans tous les sens et sans vergogne, dans une belle alternance érotique.

Quand cette amante partagée tomba enceinte, il fallu au plus vite la marier… mais avec lequel de ces trois diables de Meauterfeuil ?

Elle choisit Marc-André-Philippin pour des motifs intimes qu’elle ne dévoilera jamais, mais qui produisirent une fratrie de 6 filles qui suivirent un ainé : Gonzague-Olivier. Ce garçon vint au monde avec une lourde question existentielle à gérer : lequel des triplés était réellement son père biologique ?

Même 100 ans plus tard, l’ADN ne saurait y répondre…

De Saturne à la mer

– S’il vous plaît… dessine-moi une sardine !

Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand un drôle de petit cri m’a réveillé.
Il disait : – S’il vous plaît… dessine-moi une sardine !

J’ai sauté sur mes pieds comme si j’avais été frappé par la foudre. J’ai bien frotté mes yeux. J’ai bien regardé. Et j’ai vu un gros goéland tout à fait extraordinaire qui me considérait gravement.
Alors j’ai dessiné.
Il regarda attentivement, puis :
– Non ! Celle-là est déjà très malade. Fais-en une autre.
Je dessinai :
Mon ami sourit gentiment, avec indulgence :
– Tu vois bien… ce n’est pas une sardine, c’est un éperlan…
Alors, faute de patience, je griffonnai un nouveau dessin et lui lançai :
– Ça c’est une boite. La sardine que tu veux est dedans, avec des copines.
Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon juge :
– C’est tout à fait comme ça que je la voulais !

Spectre insolent de Notre-Dame

Né des cendres de Paris

Je n’en pouvais plus d’être enfermé dans ce tableau, lui-même perdu dans les méandres d’une zone de stockage obscure et froide. J’y figurais avec d’autres démons, gargouilles et farfadets, tout près de la signature du peintre, à peine visible à l’œil nu.

Puis vint le jour de la libération : des flammes partout, mais pas celles de l’enfer, non, celles de la fin de mon calvaire : deux jours de feu intense pour ressusciter, comme d’autres sur leurs croix.

Ma toile et mon cadre consumés, je suis devenu l’ombre de l’ombre d’un spectre fluorescent. Chaque nuit, je prie Saint-Quasimodo et me cache le jour au fond d’un sépulcre dont j’ai seul l’accès.

J’ai hâte de vivre la réouverture au public de ma cathédrale, pour transmettre discrètement aux touristes des répliques du bâtiment que je sculpte dans le charbon des poutres calcinées. Lors de mes balades nocturnes, je les poserai çà et là dans les recoins de l’édifice, entre les bougies sur les porte-cierges, au pied des brûloirs à veilleuses, en souvenir de ma libération.

Témoignages de bagatelle, ce sera là mon unique enfantillage pour les vivants, moi qui suis maintenant hors d’âge et hors du temps.

De naître

nudité maternelle

tes courbes de vie
ton corps en efflorescence
la main sur ton ventre
ta sublime certitude
de n’être sûre de rien